L’un des aspects le plus concret du processus de construction du Grand Paris aujourd’hui est la mise en œuvre du réseau de métro du Grand Paris Express (GPE).

La Société du Grand Paris (SGP), créée en 2010 par la loi relative au Grand Paris, est chargée de piloter cette entreprise dont les travaux sont largement en cours. Le projet est inédit par son ampleur, 200 km de réseau neuf en Île-de-France, prétendant doubler en 17 ans le réseau actuel construit en une centaine d’années, et un objectif de doubler également la création de logements (de 35 000 annuels à 70 000) notamment au sein des nouveaux quartiers de gare. Ce réseau devrait relier les banlieues entre elles sans passer par Paris, connecter les aéroports, les pôles de compétitivité et les bassins d’emploi et dé-saturer les transports publics et routiers existants afin de favoriser une plus grande « attractivité » de la région francilienne.

Le Grand Paris Express comporte 68 gares et 5 lignes :

  • la ligne 14 prolongée relie Saint-Denis Pleyel à l’aéroport d’Orly en traversant toute l’Ile-de France sur un axe radial Nord-Sud,
  • la ligne 15 constitue la rocade principale du réseau et la plus utile, parce que proche de Paris, en zone dense, elle relie des bassins d’habitat et des pôles d’emplois,
  • la ligne 16 est en rocade, plus éloignée en banlieue nord qui relie Saint-Denis Pleyel à Noisy-Champs. Desservant essentiellement des communes-dortoirs (Sevran, Clichy-Montfermeil) occupant des postes peu qualifiés de la capitale, l’intérêt de les relier à Marne-la-Vallée est très faible, cette agglomération n’ayant pas assez d’emplois pour ses propres habitants. Il aurait été beaucoup plus pertinent de prévoir des bus ou trams de rabattement vers la ligne 15,
  • la ligne 17 relie Saint-Denis Pleyel à Roissy, dont le tronçon 17 Nord comprend 4 gares sur 6 sans habitants (Triangle de Gonesse, Parc des Expositions, Roissy CDG 2 et 4). L’attraction du pôle de Roissy sur la main-d’œuvre locale est inférieure à 5%
  • la ligne 18 relie Orly à Versailles via Saclay et comprend un tronçon 18 ouest qui traverse 7 km de campagne et passe à la périphérie de l’agglomération Saint-Quentin-en-Yvelines/Versailles, dont l’autonomie habitat-emploi est la meilleure d’Ile-de-France (60%).
Prévisions de fréquentation du Grand Paris Express à l’Heure de Pointe du Matin (HPM) à l’horizon 2030.

D’un coût officiel de 42 milliards d’euros (mais plus probablement 60 milliards selon certains experts), ce « métro automatique de grande capacité en rocade » prétend compléter le réseau ferré existant en radiale, saturé et vétuste, dont on n’arrive pas à financer la rénovation. Il est principalement conçu pour relier des pôles d’activité entre eux, ce qui représente 3 % des trajets en Île-de-France, alors que l’essentiel des besoins de transports concerne des déplacements entre des bassins d’habitat et des pôles d’emplois. Les études de mobilité montrent qu’il augmentera les déplacements des franciliens (aujourd’hui de 45 millions de flux par jour, en augmentation chaque année de plus de 300 000 flux par jour) et qu’il ne réduira guère le trafic automobile en Île-de-France (pour la ligne 18, le report modal de la voiture vers le métro est évalué à 0,9%). Par contre, son exploitation sera un gouffre financier qui coûtera près d’1 milliard d’euros par an à la région.

Rappelons aussi que l’objectif de construction de 70 000 logements par an inscrit dans la loi du Grand Paris de 2010, supposait à l’époque une croissance accélérée de la population en Ile-de-France, jusqu’à 15 millions d’habitants à l’horizon 2030, un scénario qui ne s’est clairement pas vérifié (Figure).

Le métro du Grand Paris Express, et ses immenses programmes immobiliers, ne sera rentable que si la population en Ile-de-France connaît une croissance accélérée dans la prochaine décennie (barre rouge). Cet objectif ne pourra clairement pas être atteint. Source : Recensement INSEE

Pour le réaliser aujourd’hui, il faudrait que la population en Ile-de-France connaîsse dans la prochaine décennie une croîssance équivalente à celle des cinquante années passées (barre rouge). Ceci alors que le solde migratoire (arrivées moins départs) de l’Ile-de-France est négatif depuis très longtemps, par suite d’une arrivée massive de jeunes qualifiés pour leur premier emploi, suivie de départs de familles avec enfants et de retraités. Ce solde s’est de plus fortement aggravé avec la pandémie (la région a perdu 100 000 habitants en 2021), traduisant le désamour pour les métropoles concentrationnaires.

Avec les chantiers pharaoniques du Grand Paris, nous allons clairement vers une énorme bulle immobilière, à la laquelle s’ajoute la crise du marché des bureaux, comme en témoignent les tours vides du quartier d’affaires de la Défense, avec l’explosion du télétravail. Mais qu’importe n’est-ce pas, si les spéculateurs et les multinationales du BTP ont engrangé leurs bénéfices entre-temps ?

Les chantiers de réalisation du GPE sont source de pollutions. Outre la consommation de sable, la destruction de terres agricoles et d’écosystèmes locaux, la pollution de l’air induite par la circulation des engins et les pollutions sonores et visuelles, sans compter les nuisances sonores pour les riverains de travaux 24 H/24, les promoteurs du projet n’ont pas démontré que ce dernier entraînerait une baisse des émissions de Gaz à effet de serre (GES). Un projet de métro anti écologique qui devrait aussi produire 45 millions de tonnes de déchets de chantier, qu’on retrouve maintenant déversés un peu partout sur des terres agricoles, en Île-de-France et dans les régions avoisinantes ! Alors qu’il avait été promis de les valoriser à 70%, le taux ne dépasse guère 30%. Par ailleurs, pour tenir les délais, l’organisation du travail repose sur un système de sous-traitances emboîtées qui bafouent les règles de sécurité, utilisant les embauches précaires et le personnel intérimaire, qui se traduit par la multiplication des accidents, dont plusieurs mortels. La promesse du « million d’emplois » généré par les chantiers a été divisée par 10.

Dans son avis délibéré d’octobre 2015, l’Autorité environnementale (Ae) estime que « la seule prise en compte des émissions évitées grâce au report modal induit par le projet ne permet pas de compenser, sauf peut-être à l’horizon extrêmement lointain, les émissions associées à la construction. ». Ce qui n’empêche par la Société du Grand Paris d’être l’un des plus gros émetteurs mondiaux d’obligations « vertes » (Green Bonds) sur les marchés financiers.

Nous luttons contre ce projet métropolitain et sa traduction en termes de développement urbain (regroupement d’activités qu’on appelle « clusters » éloignés des bassins d’habitat, grandes infrastructures qui segmentent l’espace comme le réseau GPE), inspirés d’une idéologie dépassée, au service d’un capitalisme financier destructeur et déconnecté des réalités : les mots d’excellence, d’innovation, de compétitivité, de croissance ne nous trompent plus… L’injonction à rendre la métropole « attractive », mise en pratique, bétonne nos sols, détruit le vivant partout en Île de France, et vide les autres territoires de leurs habitants, leurs emplois et de leurs services publics.

Pour approfondir

POUR UNE ALTERNATIVE AU GRAND PARIS

En 2011 déjà, une Commission Aménagement du Territoire du parti EELV critiquait vertement le projet du Grand Paris. Dès cette époque, tout était dit : l’urgence de protéger les terres, l’aberration des mégapoles et de leur concurrence effrenée, l’exigence de transports et de logements au service des besoins, l’importance de rapprocher domicile et travail…

Voir ici le document de synthèse établi à l’époque.

Des constats et des propositions qui n’ont pas pris une ride aujourd’hui. Malheureusement il n’en a été tenu aucun compte.

On notera que cette étude avait été menée dans le cadre de la révision du Schéma Directeur Régional d’Ile-de-France (SDRIF) de 2013.

Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle version du SDRIF est en cours d’élaboration, il est devenu vital de prendre enfin en compte les impératifs de lutte contre l’artificialisation des sols, qui seront nos meilleurs alliés dans la lutte contre le changement climatique.

Nous remercions Jacqueline Lorthiois, urbaniste, socio-économiste, et experte en relation travail-emploi-territoire, pour son aide à la rédaction de cette rubrique.
On retrouvera sur son blog de nombreuses contre-analyses sur les fausses promesses et les nuisances des lignes 17 et 18.